07.08.20

TROISIEME SUSPENSION DE LICENCES D'EXPORTATION D'ARMES VERS LE ROYAUME D'ARABIE SAOUDITE

Après l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 mars qui a ordonné la suspension de l'exécution de dix-sept licences d'exportation d'armes vers l'Arabie Saoudite (voy. l'actualité du 9 mars), les ONG requérantes ont constaté sur le site internet des douanes canadiennes que de nouvelles pièces destinées à équiper les véhicules blindés GDLS commandés par l'Arabie saoudite avaient été importées pendant le mois de mai. Interpellé par conseils interposés, le Ministre Président Elio Di Rupo a confirmé avoir délivré de nouvelles licences en remplacement de certaines de celles qui avaient fait l'objet de l'arrêt du 9 mars. Plus précisément, deux nouvelles licences ont été octroyées à CMI DEFENCE concernant les tourelles de char destinées à être montées sur les véhicules GDLS et quatre nouvelles licences ont été délivrées à la FN HERSTAL. La délivrance de ces nouvelles licences a fait suite à de nouveaux avis, favorables cette fois, de la Commission d'avis.

Par arrêt du 7 août 2020, le Conseil d'Etat suspend une nouvelle fois, en extrême urgence, les licences octroyées à la FN HERSTAL. Ces licences concernent du matériel commandé par la Garde nationale. Le Conseil d'Etat rappelle le Ministre Président à son "devoir de prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance de licences vers un pays où de graves violations des droits de l'homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations Unies, par l'Union européenne ou par le Conseil de l'Europe". Il constate par ailleurs que "le rôle de la Garde nationale n'est pas strictement limité au territoire national puisqu'elle est déjà intervenue au Bahreïn et que le roi d'Arabie saoudite Salmane a ordonné en avril 2015 à la Garde nationale de prendre part à la campagne menée par l'Arabie saoudite au Yémen, en appui à la force aérienne et aux forces terrestres. Si le Groupe d'experts (des Nations Unies) a effectivement relevé des violations du droit international humanitaire qui auraient pu être commises dans le cadre des frappes aériennes au Yémen, ces experts ont également dénoncé beaucoup d'autres violations commises par toutes les parties au conflit, dont l'Arabie saoudite, et notamment "des attaques à l'aide d'armes à tir courbe et de tirs à l'arme légère en violation du principe de distinction, actes susceptibles de constituer des crimes de guerre" (Rapport du Groupe d'éminents experts internationaux et régionaux tel que soumis à la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, A/HRC/42/17, p. 19) qui pourraient, en l'absence d'indications contraires dans la motivation des actes attaqués, être menées au moyen de la technologie ou des équipements militaires concernés par les actes attaqués. Ces experts ne distinguent pas ces violations selon les différentes composantes des forces saoudiennes impliquées". Enfin, le Conseil d'Etat relève également que "la motivation formelle de l'acte n'aborde pas non plus la question du risque que ces armes tombent entre les mains des rebelles houthistes alors que cette situation s'est déjà présentée par le passé".

En conclusion, le Conseil d'Etat constate que "compte tenu du devoir de prudence prévu par l'article 14 du décret du 21 juin 2012 (...), pour le deuxième critère relatif au respect des droits de l'homme dans le pays de destination finale et au respect du droit humanitaire international par ce pays (point b), les actes attaqués ne sont pas adéquatement motivés quant au risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l'exportation est envisagée servent à la répression interne ou à commettre des violations graves du droit humanitaire international au Yémen". 

Par contre par un second arrêt du même jour, le Conseil d'Etat a rejeté la demande de suspension introduite contre les deux licences délivrées à CMI DEFENCE concernant la fourniture du solde de 200 tourelles de char sur une commande de 711 tourelles devant être montées au Canada sur des véhicules blindés GDLS commandés par la Garde royale. Le Conseil d'Etat considère que ces licences sont valablement motivées en retenant que les véhicules sont destinés à la Garde royale qui n'est pas impliquée dans le conflit au Yémen, que le nombre de véhicule et leur équipement est spécialement adapté pour remplir une fonction de protection de la famille royale et des sites stratégiques, que la taille de ces véhicules implique qu'ils ne sont pas conçus pour des conditions géographiques montagneuses ou difficiles, mais pour être déployés de manière optimale en milieu urbain, conformément au mandat de la Garde royale qui est de protéger la famille royale. Le Conseil d'Etat relève par ailleurs que ces licences sont également motivées par le fait que "l'Arabie saoudite est un allié politique et militaire de l'Occident qui soutient les efforts internationaux pour contrer l'Etat islamique en Irak et en Syrie et que ce pays constitue encore à ce jour le principal rempart contre les tentatives de l'Iran d'étendre son influence dans la région par alliés interposés en Syrie, au Liban, et au Yémen alors que les ambitions nucléaires de l'Iran constituent une menace pour la région et la sécurité internationale dans son ensemble", ou encore que "ce pays participe activement à la lutte contre le terrorisme".

Ces affaires ont été plaidées par Vincent Letellier et Flora Roux.