10.12.20

REFORME DE LA VALORISATION DES EMPLOIS DE FIN DE CARRIERE EN CE QUI CONCERNE LES DROITS A LA PENSION : ANNULATION DE L'EFFET RETROACTIF PREJUDICIABLE AUX TRAVAILLEURS

Avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2015, de l'A.R. du 20 décembre 2016 "modifiant les articles 24bis, alinéa 1er, point 9, et 34, § 1er, O, de l'arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, en matière de périodes de crédit-temps pour fin de carrière", le travailleur qui optait, avant l'âge de 60 ans, pour un emploi de fin de carrière ou une forme analogue d'interruption de carrière bénéficiait, pour le calcul de sa pension, d'une assimilation des périodes d'interruption sur base du salaire fictif normal à concurrence de 312 jours assimilés diminués, le cas échéant, du nombre de journées assimilées de crédit-temps non motivé. Par ailleurs, le travailleur pouvait bénéficier du même avantage pour les premiers 312 jours de l'emploi de fin de carrière ou de la forme analogue de l'interruption de la carrière, pris à partir de l'âge de 60 ans. Les travailleurs concernés pouvaient donc cumuler les deux "pots" de 312 jours valorisables dans le calcul de leur pension sur base d'un salaire fictif normal  

L'arrêté royal du 20 décembre 2016 a supprimé, avec effet rétroactif au 1er janvier 2015, la possibilité de bénéficier du premier "pot" des 312 jours assimilés pour les travailleurs âgés de moins de 60 ans qui, justifiant de 35 ans de carrière, ont introduit leur première demande d'allocations après le 31 décembre 2014, leur réservant ainsi un traitement moins favorable dans le cadre du calcul de leur pension.

Par arrêt prononcé ce 4 décembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'article 1, 5° de l'arrêté royal du 20 décembre 2020 dans la mesure où cette disposition est assortie d'un effet rétroactif et produit ses effets, avant sa publication, "pour les périodes avec droit aux allocations d'interruption, telles que visées à l'article 6 de l'arrêté royal du 12 décembre 2001 pour lesquelles la première demande d'allocations d'interruption prend cours après le 31 décembre 2014".

En conséquence, les travailleurs qui ont opté, avant leurs 60 ans mais après 35 ans de carrière, pour un emploi de fin de carrière entre le 1er janvier 2015 et le 17 janvier 2017 doivent pouvoir cumuler les deux "pots" de 312 jours pour lesquels l'assimilation, pour le calcul de leur pension, se fait sur base d'un salaire fictif normal.

Le recours, porté par Vincent LETELLIER, était introduit "en front commun" par les trois organisations syndicales nationales et par plusieurs affiliés à ces syndicats. Malheureusement, le Conseil d'Etat confirme sa jurisprudence traditionnelle concernant l'absence de capacité à agir des organisations syndicales non dotées de la personnalité juridique. Le Conseil d'Etat refuse de considérer que le droit à "l'action collective en cas de conflit d'intérêt", consacré notamment par la Charte sociale européenne révisée, implique pour les syndicats un droit d'action devant les juridictions afin de défendre  l'intérêt collectif de leurs affiliés. Selon le Conseil d'Etat, "les conflits juridiques qui portent notamment sur la violation de droits issus de la négociation collective" ne relèvent pas des "conflits d'intérêts" visés par la Charte sociale européenne révisée. Par ailleurs, le Conseil d'Etat refuse de poser à la Cour constitutionnelle les questions suggérées par les requérantes quant à la constitutionnalité de l'article 4 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail qui définit strictement les hypothèses dans lesquelles les syndicats non dotés de la personnalité juridique peuvent ester en justice. Le Conseil d'Etat relève que les questions préjudicielles suggérées reposent sur un postulat erroné puisqu'en réalité les atteintes à la liberté syndicale et la différence de traitement dénoncées ne trouvent pas leur origine dans cette disposition, mais dans la règle qui subordonne la capacité d'agir à la condition de disposer de la personnalité juridique et dans l'absence d'une ou de plusieurs dispositions qui, à la lumière d'une réévaluation des intérêts sociaux en présence ou d'un choix stratégique de politique ou de gestion, instaureraient une règle nouvelle permettant aux organisations syndicales des travailleurs non dotées de la personnalité juridique d'agir en justice. 

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