10.01.25

Le Conseil d'Etat suspend trois licences d'exportation d'armes vers les Emirats arabes unis

C.E., asbl Ligue des Droits humains e.a., n° 261.969

L'information qui a permis d'introduire ce recours a été révélée par un article publié dans le journal Le Soir, le 16 décembre 2024 : le nouveau ministre président de la Région wallonne a recommancé à autoriser les exportations d'armes vers les Emirats arabes unis alors que ses prédécesseurs s'y opposaient depuis 2017 notamment en raison d'un risque de détournement, à l'époque vers la Lybie, en violation d'un embargo des Nations Unies.

Le 23 décembre, forts de cette information, la Ligue des Droits humains, la Coordination nationale d'Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD) et l'association flamande Forum voor Vredesactie, représentées par Vincent Letellier, ont saisi le Conseil d'Etat en extrême urgence. 

Si l'article du Soir relatait la délivrance d'une licence au bénéfice de la FN HERSTAL, l'instruction de l'affaire a permis de révéler qu'en réalité neuf licences avaient été délivrées entre le 3 octobre et la 5 décembre au bénéfice de cinq entreprises.

Quatre de ces licences sont des licences temporaires, permetant à l'entreprise John Cockrill de présenter du matériel (tourelles, canon et divers simulateurs notamment) à la foire IDEX 2025 qui se tiendra en février 2025 à Abu Dhabi. Une autre concerne de la technologie satellitaire, mais son bénéficiaire y a renoncé.

Dans son arrêt prononcé ce 10 janvier 2025, le Conseil d'Etat constate que pour ces licences, l'urgence comme condition du référé fait défaut. Le recours est également rejeté, pour le même motif, concernant la licence délivrée à la FN HERSTAL concernant des pièces de rechange pour des mitrailleuses. Le Conseil d'Etat constate en effet que cette licence (de transfert) a intégralement été exécutée puisque le matériel a quitté le territoire pour la France, d'où il doit être exporté vers les Emirats.  

Par contre, la haute juridiction administrative constate que les conditions d'(extrême) urgence et d'au moins un moyen sérieux établissant l'illégalité des décisions sont réunies pour les trois autres licences qui autorisent l'exportations vers les Emirats arabes unis (i) de bords d'attaque destinés à être montés sur des avions militaires de transport, (ii) de systèmes anti-drônes intégrés et (ii) "de données techniques liées à l'intégration et l'installation de tourelles (...) et d'options associées, d'un software et de documentation technique".    

Comme le faisaient valoir les requérants, représentés par Vincent Letellier, le Conseil d'Etat constate que le risque existe que ce matériel soit utilisé dans le conflit au Yémen ou au Soudan, où les Emirats sont impliqués notamment en fournissant des armes aux factions rebelles soudanaises en violation de l'embargo des Nations Unies.

  • Par ailleurs, le Conseil d'Etat constate que les licences elles-mêmes sont dépourvue de toute motivation formelle et que les avis de la commission d'avis ne permettent pas d'établir qu'une analyse minutieuse des demandes a été effectuée au regard des critères fixés par le décret wallon sur les exportations d'armes, et notamment des deuxième, sixième et septième critères (à savoir celui du respect du droit international humanitaire par le pays destinataire, le comportement du pays acheteur à l'égard de la communauté internationale et, notamment, son attitude envers le terrorisme, celui de la nature de ses aliances et le respect du droit international, ainsi que celui de l'existence d'un risque de détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays acheteur ou de réexportation dans des conditions non souhaitées). Le Conseil d'Etat constate qu'à tout le moins, la motivation des avis sur base desquels les licences ont été délivrées ne permet pas de comprendre comment, au regard des différents éléments défavorables qui y sont mentionnés, il est néanmoins conclu que rien ne s'oppose à l'octroi de ces licences.

 

En réaction à cette décision, le ministre président a affirmé que cette décision "montre que notre législation en matière de licences d'armes est particulièrement restrictive et doit être revue" (Le Soir du 10/01/25). C'est oublier que les critères qui doivent être respectés sont issus de la Position commune 2008/944/PESC de l'Union européenne et qu'ils s'imposent donc à tous les Etats membres. Si certains ne respectent pas les règles faut-il s'en affranchir en wallonnie ou veiller à ce quelles soient également respectées par tous les partenaires européens ?  

> lire l'arrêt